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Il y a des voyages qu’on planifie avec minutie, et d’autres qu’on improvise. Et parfois, cette improvisation vous emmène là où les mots ne suffisent plus. C’est ce qui m’est arrivé un jour à Osaka, au Japon, où je me suis retrouvé pour 24 heures sans guide, sans traducteur, sans repère. Juste moi, mes gestes maladroits… et une langue complètement étrangère.
Ce que je croyais être une journée perdue s’est révélée être une leçon inoubliable sur la communication, la patience… et l’universalité du sourire.
Une arrivée désorientante
Tout a commencé à Kyoto, où je passais quelques jours. Mon plan initial était de prendre un train pour Nara, visiter les temples, nourrir les daims, et revenir à temps pour le dîner. Mais une erreur de quai plus tard – et me voilà à Osaka, embarqué sur une ligne express, sans Wi-Fi, sans carte SIM locale, et avec un vieux guide de poche à moitié déchiré.
Quand je suis sorti de la gare d’Umeda, une foule compacte m’engloutit. Les enseignes clignotaient dans tous les sens, les annonces résonnaient dans une langue que je ne comprenais pas, et mon cerveau tentait de décrypter les caractères japonais comme si c’était un code secret. Pas de repères familiers, pas d’anglais audible. Juste cette impression de flotter dans un monde parallèle.
La première mission : manger
Après plus de trois heures de marche sans objectif précis, l’estomac a fini par crier famine. Mais comment commander un plat quand on ne sait pas lire le menu ? Je suis entré dans une petite échoppe au hasard, attiré par l’odeur alléchante des brochettes grillées.
Le serveur, un homme d’une cinquantaine d’années, m’a accueilli d’un « Irasshaimase! » enthousiaste. Je lui ai répondu avec un sourire maladroit et un geste vers la table. Devant moi, un menu sans traduction. Pas même une photo. J’ai donc tenté la technique du « hasard assumé » : j’ai pointé une ligne, puis deux doigts. Deux plats mystère.
Il a acquiescé sans rien dire, a disparu dans la cuisine, et quelques minutes plus tard, je me retrouvais devant un bol fumant de ramen pimenté… et des boulettes de poisson panées à la sauce sucrée. Un délice absolu. Sans mot, mais avec beaucoup d’expression du visage, je lui ai montré que c’était excellent. Il m’a offert un dessert en retour, en riant.
Trouver son chemin : le défi du métro
L’après-midi avançait et je voulais rejoindre le quartier de Dotonbori, dont j’avais vaguement entendu parler. Mais comment prendre le métro quand on ne peut pas lire les panneaux ni poser de question ? Heureusement, les couleurs des lignes étaient une aide précieuse.
J’ai observé les autres voyageurs, suivi leurs gestes, et copié leurs mouvements au distributeur automatique. J’ai mimé une destination à un jeune étudiant qui, malgré notre absence de langue commune, m’a accompagné jusqu’au bon quai, avec un pouce levé et un clin d’œil complice.
C’est là que j’ai compris que dans les situations extrêmes, l’humilité devient une arme puissante. Accepter qu’on ne sait rien. Qu’on va se tromper. Mais que l’humanité est là pour combler les vides.
Un temple, une conversation silencieuse
À Dotonbori, l’agitation est totale. Des panneaux géants, des mascottes géantes, des vendeurs qui hèlent les passants, des odeurs de takoyakis à chaque coin de rue. Mais après ce bain de foule, j’ai ressenti le besoin de calme. En marchant au hasard, je suis tombé sur un petit temple caché entre deux immeubles modernes.
Je suis entré sans bruit, ai retiré mes chaussures, me suis assis sur un banc. Un vieux moine balayait les feuilles mortes dans la cour. Il m’a salué d’un signe de tête, et je lui ai rendu son salut. Pendant plusieurs minutes, nous avons simplement partagé le silence, observant les mouvements du vent dans les arbres.
Je n’ai pas eu besoin de mots pour comprendre qu’il m’avait accepté dans cet espace sacré. Ce moment suspendu valait toutes les conversations du monde. J’ai quitté le temple plus léger, apaisé, recentré.
Le pouvoir du dessin et du mime
Le soir venu, j’ai voulu trouver un endroit pour dormir. Pas d’hôtel réservé, bien sûr. J’ai repéré une petite auberge traditionnelle avec des lanternes rouges à l’entrée. À la réception, personne ne parlait anglais, et mon japonais était limité à « bonjour » et « merci ».
Alors, j’ai sorti mon carnet. J’ai dessiné un lit, une horloge, un chiffre (le prix que je pouvais payer). La réceptionniste a éclaté de rire, puis m’a répondu par un petit schéma : une clé, un lit, une flèche. Marché conclu.
Le lendemain matin, elle m’a tendu un bento pour la route, avec un petit mot en japonais que je n’ai pas su lire, mais dont je garde encore le papier dans mon carnet. Ce genre de geste, spontané et gratuit, fait partie de ces trésors qu’aucune visite guidée ne vous offrira jamais.
Voyager sans parler : une autre forme de présence
Ces 24 heures dans Osaka sans comprendre un mot m’ont montré une chose essentielle : la parole n’est qu’un des nombreux langages de la communication. Le regard, les mains, le sourire, l’attitude – tout cela parle, tout cela crée du lien.
Ce qui m’a le plus frappé, c’est la patience des Japonais. Jamais un soupir d’agacement, jamais un mot haut. Ils ont accueilli mes maladresses avec douceur, ont essayé de m’aider, ont fait des efforts sans jamais me faire sentir de trop. C’était une leçon de respect mutuel.
À aucun moment je ne me suis senti en danger. À aucun moment je n’ai été rejeté. Mieux encore : c’est précisément mon étrangeté, ma naïveté assumée, qui a suscité la bienveillance autour de moi.
Une nouvelle confiance en soi
Voyager dans une ville sans parler la langue, c’est accepter d’être vulnérable. Mais c’est aussi redécouvrir qu’on peut s’adapter. Trouver des solutions. Créer des ponts là où il n’y a pas de mots.
Depuis ce jour, je n’ai plus peur de me lancer dans un pays inconnu. Je sais que l’anglais ne m’ouvrira pas toutes les portes – mais que la curiosité, le respect, l’écoute active sont des clefs bien plus puissantes. Et surtout : j’ai compris qu’on n’a pas besoin de parler la langue pour comprendre les gens.
On a juste besoin d’être là. Entier. Présent.
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