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Il y a dans les trains de nuit un parfum d’aventure que ni l’avion ni la voiture ne peuvent égaler. Dormir à bord d’un convoi en mouvement, bercé par le rythme des rails et la respiration métallique de la locomotive, c’est s’offrir une nuit suspendue hors du temps. Dans un monde où l’on cherche toujours à aller plus vite, prendre le train de nuit, c’est choisir une autre temporalité, celle où la lenteur devient luxe, et le sommeil un voyage en soi.
Le train de nuit : un monde à part
Ceux qui ont déjà passé une nuit à bord d’un train savent que ce type de voyage est bien plus qu’un simple moyen de transport. Il s’agit d’une transition, d’un passage entre deux mondes. On monte à bord dans une ville, un pays, une langue, et on se réveille dans un autre décor, parfois radicalement différent. Le train de nuit crée une parenthèse entre ces deux réalités.
Qu’il s’agisse des trains couchettes rudimentaires de l’Inde ou des luxueux wagons-lits de l’Orient-Express, l’expérience est toujours teintée d’un certain mystère. Le bruit des roues, les vibrations du sol, les arrêts silencieux en gare au milieu de la nuit, les conversations chuchotées entre passagers : tout contribue à créer une ambiance unique.
L’élégance du voyage lent
À l’heure où l’avion permet de relier deux villes en quelques heures, le train de nuit fait l’éloge de la lenteur. Il invite à prendre son temps, à s’attarder sur le paysage, à observer les détails d’un pays qui défile lentement à travers la vitre. C’est une forme de voyage écologique, contemplatif et souvent poétique.
Il y a aussi quelque chose de profondément cinématographique dans le train de nuit. Combien de films et romans ont placé une intrigue à bord d’un train ? D’Agatha Christie avec Le Crime de l’Orient-Express à Before Sunrise de Richard Linklater, le train de nuit est le lieu idéal pour les rencontres improbables, les confidences soudaines, les changements de vie. Chaque passager est un potentiel personnage, chaque compartiment une scène.
Une expérience humaine
Au-delà du déplacement, dormir dans un train, c’est aussi faire l’expérience de la promiscuité. On partage souvent son espace avec des inconnus, on entend leurs soupirs, leurs rêves, leurs conversations. Ce contact, que l’on évite tant dans les avions ou les hôtels aseptisés, devient ici inévitable — et c’est parfois une belle surprise.
Je me souviens d’une nuit passée dans un train reliant Hô Chi Minh-Ville à Hanoï. Dans mon compartiment, un couple vietnamien d’une soixantaine d’années et un jeune backpacker autrichien. On a commencé par un sourire poli, puis les échanges sont venus, maladroits mais sincères. Ils ont partagé leur riz gluant et leur thé fort, nous avons sorti nos cartes pour comparer nos parcours. Au matin, on se saluait comme de vieux amis.
Le train de nuit, par son intimité imposée, brise les barrières sociales et linguistiques. Il crée des communautés éphémères, soudées par la nuit et le trajet. Et il faut bien avouer que dans un monde de plus en plus individualisé, ces liens furtifs ont quelque chose de précieux.
Quelques trains inoubliables
Il existe dans le monde plusieurs trains de nuit qui méritent à eux seuls le déplacement.
Le Transsibérien, bien sûr, est sans doute le plus mythique. Ce monstre d’acier qui traverse la Russie d’ouest en est pendant plus de 9000 km est une véritable odyssée. On y passe plusieurs nuits, on traverse des fuseaux horaires et des paysages à couper le souffle, on découvre la Russie profonde au fil des gares et des visages.
En Europe, le Nightjet autrichien, remis au goût du jour ces dernières années, relie Vienne à Paris, Berlin, Milan ou Amsterdam. Il propose des compartiments modernes, confortables, parfois avec salle de bain privée. L’idée ? Redonner goût au voyage nocturne à une époque où il avait été délaissé.
Le Palace on Wheels en Inde ou le Rovos Rail en Afrique du Sud offrent quant à eux une expérience luxueuse, presque muséale. Boiseries, service en gants blancs, dîners servis à la cloche : ici, on célèbre l’âge d’or du rail avec un confort cinq étoiles.
Et puis il y a les trains plus modestes, mais tout aussi marquants. Le Reunification Express au Vietnam, le train entre Nairobi et Mombasa au Kenya, ou encore le tren de las nubes en Argentine : chacun possède une identité propre, un rythme, un charme particulier.
L’aventure du sommeil
Dormir dans un train n’a rien d’évident. Il faut s’habituer au roulis, aux arrêts soudains, au bruit. Parfois, la literie est spartiate, la climatisation capricieuse ou les voisins bruyants. Mais tout cela fait partie de l’expérience. C’est justement ce qui transforme un simple trajet en souvenir durable.
Il m’est arrivé, en Chine, de ne pas fermer l’œil de la nuit, coincé dans une couchette dure comme du bois au milieu de ronfleurs enthousiastes. Pourtant, je garde un souvenir attendri de cette nuit : l’odeur de nouilles instantanées, le grincement des portes métalliques, la lumière verte qui baignait le wagon, et ce sentiment d’être au cœur d’un monde en mouvement.
Car le vrai luxe du train de nuit, ce n’est pas la qualité du matelas, mais la possibilité de se réveiller dans un ailleurs. Ce moment où l’on ouvre les rideaux et que le paysage a changé. Ce moment où, encore engourdi par le sommeil, on devine déjà une autre langue, un autre climat, une autre ville.
Une alternative durable
À l’heure où le tourisme repense son impact écologique, le train de nuit apparaît comme une solution concrète. Moins polluant que l’avion, il permet d’éviter une nuit d’hôtel, réduit son empreinte carbone, et offre en prime une expérience de voyage authentique.
De plus en plus de pays relancent ou modernisent leurs lignes nocturnes. La Suède, l’Allemagne, l’Italie ou la France investissent à nouveau dans ces trajets oubliés. Les jeunes générations y voient une manière plus responsable de voyager, mais aussi plus romantique, plus immersive.
Ce retour du train de nuit, loin d’être une mode, marque peut-être un tournant. Il redonne ses lettres de noblesse au déplacement, à l’idée que le voyage ne commence pas à l’arrivée, mais dès qu’on met un pied à bord.
L’intimité du mouvement
Il y a quelque chose de profondément introspectif dans la nuit en train. Pendant que le paysage défile, on se replie sur soi, on rêve éveillé. Le balancement régulier du wagon invite à la méditation. On pense aux kilomètres parcourus, à ceux qui restent. On pense à ceux qu’on a quittés, à ceux qu’on va rejoindre.
C’est un espace-temps idéal pour l’écriture, la lecture, l’introspection. Les plus beaux journaux de voyage sont parfois rédigés entre deux gares. Car dans un train, le voyageur devient observateur du monde, mais aussi de lui-même.
Un lit sur des rails, une invitation au rêve
Dormir dans un train, c’est accepter que le sommeil ne soit pas parfait, que la nuit soit un peu secouée. Mais c’est surtout s’ouvrir à une forme de voyage plus humaine, plus sensuelle, plus poétique.
Ce n’est pas seulement un moyen d’aller d’un point A à un point B : c’est une traversée. Une lente transition, faite de bruits et de silences, d’obscurité et de lueurs de gare. Une nuit en train, c’est un moment suspendu entre deux mondes, entre deux vies.
Alors, la prochaine fois que tu planifies un trajet, demande-toi si le train de nuit ne serait pas une meilleure option. Non pas pour aller plus vite, mais pour aller autrement. Pour faire de la nuit un voyage en soi.
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